Gerbert

Gerbert
Gerbert
    Dans l’ancienne Gaule, les écoles épiscopales se réveillent à Liège et à Reims. De 972 à 982, le maître de l’école de Reims est Gerbert, dont le rôle intellectuel et politique est immense en cette fin du Xe siècle. Gerbert, né vers 950, était élève du monastère d’Aurillac, monastère réformé par Odon de Cluny, élève de Rémy d’Auxerre. Mais, curieux et voyageur, il parcourt la France et l’Espagne ; chez lui la tradition classique et humaniste des grands monastères carolingiens s’unit à une curiosité inventive, si rare à cette époque. Abbé de Bobbio en 982, archevêque de Reims en 992, il devient en 998 archevêque de Ravenne, la résidence préférée des Ottons en Italie ; en 999 il devient pape sous le nom de Sylvestre II, et il meurt en 1003. Ses préoccupations sont celles d’un humaniste ; il achète à grand prix des livres dans tous les pays ; il voit dans la philosophie une culture à la fois morale et littéraire, indispensable au repos comme aux affaires ; « puisque la morale et la rhétorique, écrit-il à Egbert, abbé de Saint-Martin de Tours, ne sont pas séparés de la philosophie, j’ai toujours uni l’étude de l’une à l’étude de l’autre. Sans doute il est plus important de bien vivre que de bien dire, et, une fois affranchi des soins du gouvernement, l’un est assez sans l’autre ; mais pour nous, qui nous occupons des affaires publiques, l’un et l’autre sont nécessaires ». Comme Boèce, il voit dans la philosophie un moyen de mépriser la fortune et le seul remède aux soucis des affaires ; il se souvient du De Officiis quand il définit l’Église sanctissima societas generis humani.
    D’esprit très positif, il distingue nettement le trivium du quadrivium, comme la logique de la matesis. Comme Jean Scot et bien d’autres commentateurs de l’Écriture sainte, il trouve la dialectique indispensable : « Avant de nous appuyer sur l’autorité de tels hommes, je veux dire Cyrille et Hilaire, nous entreprenons de résoudre la divergence de leurs paroles au moyen de quelque argument dialectique. » S’il utilise la dialectique avec confiance, c’est qu’il y voit non une invention humaine, mais une science qui touche à la nature : « créée dans la nature par l’auteur de tous les arts qui sont vraiment des arts, elle y a été découverte par les sages et elle a été employée pour les besoins de la recherche savante ». Nous savons, par l’historien Richer, quelle était l’étendue de son cours de dialectique à Reims ; il y expliquait l’Isagoge de Porphyre dans la traduction de Victorinus avec le commentaire de Boèce, les Catégories et le De Interpretatione d’Aristote, les Topiques de Cicéron avec les commentaires de Boèce ; enfin tous les traités logiques de Boèce. Le petit traité De rationali et ratione uti qu’il adressa à Otton III est destiné à résoudre une question soulevée dans une discussion orale à propos du texte suivant de l’Isagoge (ch. vii) : « Raisonnable étant une différence spécifique, user de la raison se dit de raisonnable en tant que différence, et non seulement de raisonnable, mais de toutes les espèces comprises sous ce terme. » La proposition «le raisonnable use de la raison» n’a aucune nécessité logique, objecte-t-on à Porphyre, puisque raisonnable est la puissance dont user de raison est l’acte, et qu’il est toujours possible que la puissance ne passe pas à l’acte. Gerbert donne raison à Porphyre, grâce à une distinction qui suppose le platonisme, mais peut-être en même temps le nominalisme : quand raisonnable désigne une essence éternelle et divine, Porphyre dit vrai, puisque cette essence est toujours en acte ; il a tort si le mot raisonnable désigne la disposition rationnelle des individus qui naît dans le temps et ne passe pas toujours à l’acte.
    Mais Gerbert est aussi un mathématicien ; dans sa correspondance, il donne les règles de la multiplication et de la division, une théorie de la sphère, des explications sur la Musique et l’Arithmétique de Boèce ; il écrit une Géométrie. Son esprit pratique se laisse voir dans son traité Sur l’Astrolabe ; il l’a fort probablement composé d’après un traité traduit de l’arabe, et, en introduisant ainsi en Occident les règles d’emploi d’un instrument astronomique, il a été l’initiateur d’un important mouvement scientifique.
    D’après des découvertes récentes, Abbon (945-1004), qui fut abbé de Fleury à partir de 988, travailla, en même temps que Gerbert et en relation avec lui, à la restauration des sciences ; il est l’auteur de traités sur les Syllogismes catégoriques et hypothétiques ; il a, dans un commentaire du Calculus de Victorius d’Aquitaine, introduit des règles pratiques de calcul sans aucune trace de l’influence arabe ; il a écrit de petits traités d’astronomie, contenant des catalogues d’étoiles ; enfin, il est l’auteur d’un comput où sont discutées les dates d’origine de l’ère chrétienne. On le voit, dans sa correspondance, chercher à étendre sa documentation ; il recherche en Espagne des traités scientifiques.
    La fin du Xe siècle vit enfin, en 990, s’ouvrir, à Chartres, une école épiscopale sous la présidence de Fulbert, un élève de Gerbert, qui fut évêque de Chartres de 1006 à 1028. Il y avait, dès cette époque, à Chartres, une importante bibliothèque d’historiens et de poètes latins, classiques et chrétiens ; tout l’humanisme et le goût de la science de Gerbert se transmettent à Chartres. Il met pourtant ses disciples en garde, tout comme autrefois Jean Scot, contre une sagesse mondaine qui voudrait « resserrer les secrets de Dieu dans les limites de son ignorance et comprendre ce qui est au delà d’elle » ; elle cherche et ne trouve pas ; les mystères sont révélés « non à la discussion des hommes, mais aux yeux de la foi ».

Philosophie du Moyen Age. . 1949.

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